By Fred Vergneres
Le 4 septembre dernier, devant un parterre d’officiers et trois machines spécialement décorées pour l’occasion, la Marine nationale a fait ses adieux à ses derniers Lynx encore en opération. Outre l’hélicoptère, l’entité a également mis en sommeil, pour quelques mois, sa prestigieuse unité, la 34F. Durant 41 ans, le binôme aura sillonné le globe afin d’assurer principalement la mission de lutte anti sous-marine.
« C’est un sentiment partagé entre émotion et optimisme que de voir partir un appareil sur lequel j’ai volé durant toute ma carrière. Ce départ ouvre néanmoins une nouvelle ère et un nouveau chapitre dans l’histoire de la Marine ». Ces quelques mots prononcés par le capitaine de frégate François Chaput, dernier commandant de la 34F, symbolisent à eux seuls l’attachement de la Marine et de ses hommes à l’égard de cet appareil.
Fruit d’une coopération commerciale franco-britannique entre l’Aérospatiale et Westland dans sa version française, le Lynx est avant tout un appareil dont la conception s’est fondée sur l’expérience acquise par Westland dans les hélicoptères embarqués, notamment celle du modèle WASP. Mais surtout, à l’image de l’automobile d’outre manche, une machine pensée par les Britanniques, pour les Britanniques. Le félin va ainsi être développé avec des solutions techniques innovantes pour en faire un hélicoptère particulièrement adapté à l’embarquement. Machine trapue au centre de gravité très bas afin de lui donner une grande stabilité sur les plates-formes marines, le Lynx est également le seul appareil à disposer d’une boîte de transmission principale (BTP) en forme de « pyramide écrasée ». Cette conception technique permet d’abaisser la hauteur de l’appareil. Corrélée à des pales et à une poutre repliable, elle va ainsi faciliter son stockage à bord des frégates et en faire un hélicoptère totalement en phase avec les exigences des forces navales. En outre, il reste le seul appareil à disposer d’un système de changement de pas dont l’axe traverse le système de BTP en son centre. Une mécanique totalement différente des plateaux cycliques habituellement implantés sur les voilures tournantes, mais qui a indubitablement fait ses preuves depuis la mise en service de la machine.
Un vecteur polyvalent
Fort des ses atouts, le Lynx est mis en service par la France le 3 octobre 1979 afin de doter la Marine nationale d’un véritable système embarqué de lutte anti-sous marine (ASM) et, ainsi, de répondre aux exigences du domaine sous-marin en corrélation avec ses systèmes de dissuasion nucléaire. Equipées entre autres d’un sonar trempé DUAV-4 et, le cas échéant, de deux torpilles Mk.46 ou MU-90, les quarante machines perçues par la France seront principalement déployées à partir des frégates de type F67 (classe Tourville) et F70 (classe Georges Leygues) basées à Toulon et Brest. Mis en œuvre par trois membres d’équipage (deux pilotes et un opérateur sonar/treuil ou hélicoptériste aéronautique – HELAE ) , le félin va devenir un outil indispensable et un vecteur déporté de ces frégates afin de toucher la cible au plus près dans sa mission principale d’ASM. Pour autant, l’histoire va enrichir les capacités opérationnelles du biturbine et lui permettre d’être déployé in fine à bord de tous les bâtiments porte-hélicoptères en service dans la Marine. A l’inverse des versions anglaises, le Lynx français aura néanmoins évolué de façon marginale. Seules quelques transformations seront réalisées au fil des ans, comme, notamment, l’introduction d’une nouvelle motorisation plus puissante en 1984 et à l’intégration des pales en carbone qui permettent en pratique à l’hélicoptère de gagner jusqu’a 15 nœuds de vitesse de pointe.
De sa version originale Mk.2 à celles, plus évoluée, Mk.4, le Lynx va ainsi verser ses capacités opérationnelles au profit de missions de sauvetage en mer (Search and Resue — SAR), de lutte contre les trafics illicites et la protection des approches maritimes. Grâce à ses capacités d’intervention à plus de 100 nautiques du point de départ, l’appareil sera ainsi en première ligne lors du sauvetage des membres d’équipages de l’Erika en 1999, du Napoli en 2007 et, plus récemment, du Modern Express, en 2016. Outre ses missions d’action de l’Etat en mer, cette bête de somme sera également utilisée pour le transport et l’appui des forces spéciales. De fait, l’appareil, exploité par trois flottilles (31F, 34F et 35F), sera au cœur de nombreux dispositifs et missions, à l’image de celles réalisées en juin 1982 durant le conflit libanais, qui voit un appareil de la 31F se poser en plein cœur de Beyrouth alors en proie à la guerre civile. Suivant les opérations commandées par l’Etat, le Lynx sera également déployé durant l’opération Daguet, en 1991, puis celle des Balkans, en 1992, sans oublier les mission Heracles (Afghanistan), Harmattan (Libye)et Chammal (Syrie-Irak) au cours des années 2000, jusqu’à aujourd’hui. La longue liste des opérations effectuées par « l’animal » vont l’amener à exécuter plus de 210 000 heures de vol durant ses 41 années de service.
Une machine efficace, mais vieillissante
Avec quatre machines encore état de vol, la flottille 34F a réalisé en juillet dernier la toute dernière mission du Lynx, lors d’une sortie opérationnelle pour le soutien de la force océanique stratégique au profit des SNLE – sous-marins nucléaires lanceurs d’engins. Malgré ses qualités intrinsèques et l’éventuelle possibilité d’une mise à niveau, le retrait du Lynx est devenu, ces dernières années, une nécessité, comme le souligne François Chaput : « L’âge de l’appareil ne permettait plus un maintien en conditions opérationnelles suffisant. La maintenance du Lynx s’est révélée de plus en plus difficile, obligeant souvent les mécaniciens à réaliser du retro engineering. » La Marine aura ainsi gardé jusqu’au bout les capacités de maintenance de l’appareil réalisée, au niveau opérationnel, au sein de la flottille, à Lanvéoc, et à l’atelier industriel de l’aéronautique (AIA) de Cuers-Pierrefeu au plan industriel. Parallèlement, l’appareil aura bénéficié tout au long de sa vie active d’un suivi industriel de la part de Leonardo, entreprise née en 2000 de la fusion entre l’Italien Agusta et le Britannique Westland. Pour autant, son coût d’exploitation va devenir un frein à une modernisation plus poussée. Selon un rapport remis à un député en juillet dernier, l’heure de vol de l’appareil serait passée, en quatre ans, de 14 000 à 22 000 € pour un coût d’entretien annuel de 17,7 millions d’euros. Et ce pour un taux de disponibilité inférieur à 16% ! De quoi décider du retrait de la bête, non sans regrets selon ses équipages qui, à la fermeture de la 34F, seront réaffectés dans différentes unités.
Une nouvelle ère
Si le retrait du Lynx marque la fin d’une époque, il est aussi synonyme de renouveau pour la Marine nationale. La mission ASM est en effet déjà reprise, depuis quelques années, par le NH90 Caïman Marine, notamment au sein de la 33F et de la 31F à bord des frégates multimissions (FREMM). Le Caïman Marine, entré en service au sein de la « Royale » en 2011, reprend ainsi l’ensemble de l’éventail des missions réalisées par le Lynx. Et, selon certaines autorités, parfois non sans mal face à une machine de dernière génération difficile à maintenir en condition opérationnelle. Malgré quelques aléas, le NH90 devient, de fait, le fer de lance de la composante hélicoptère embarquée. Reste que la Marine a également misé sur un autre appareil d’Airbus Helicopters : le H160. Le retrait du Lynx a en effet permis d’entériner le projet de mise à niveau de la composante hélicoptère par la mise en œuvre d’une la flotte intérimaire composée de H160 et de Dauphin N3. Pour François Chaput, « ce projet est porteur d’avenir et l’arrêt d’exploitation du Lynx va également permettre d’investir dans celui-ci de façon pérenne. »
Si l’heure de la retraite du félin a bel et bien sonné, sa deuxième vie au sein des musées nationaux, afin de préserver ce patrimoine volant, reste encore à définir, comme le souligne le CF Chaput qui « appelle de ses vœux la livraison de certaines des cellules au musée historique de l’hélicoptère, à Dax, au musée de l’association des amis de l’aéronautique navale à Rochefort et, pourquoi pas, au Musée de l’air et de l’espace installé sur l’aéroport de Paris – Le Bourget. »